Des astronomes européens confirment la présence d'une exoplanète invisible
Une équipe d'astronomes européens (1) comprenant des chercheurs de l'Institut d'astrophysique de Paris a confirmé la présence d'une planète "invisible" grâce au spectrographe SOPHIE (2) installé sur le télescope de 1,93 m de l'Observatoire de Haute-Provence. Cette planète, Kepler-88 c, avait été prédite grâce à la perturbation gravitationnelle qu'elle cause sur sa planète voisine, Kepler-88 b. Ce résultat est publié aujourd'hui dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Pendant les quatre années de sa mission, le télescope spatial Kepler (3) a détecté plus de 3500 possibles transits planétaires sur des centaines de milliers d'étoiles étudiées. Cependant, toutes les planètes situées dans le champ de vue de Kepler ne passent pas devant leur étoile. En effet, si le plan de leur orbite est légèrement incliné par rapport à la direction de la Terre (quelques degrés suffisent), la planète n'occulte pas l'étoile. Elle est donc "invisible" pour Kepler.
Des planètes en orbite autour d'une même étoile interagissent gravitationnellement les unes avec les autres. Dans ces systèmes à plusieurs planètes, cette interaction cause des perturbations dans les instants précis auxquels se produisent les transits planétaires (4). Ce phénomène est appelé variations des temps de transit, ou TTV. La technique des TTV est sensible à des planètes aussi petites que la Terre. C'est le cas du système Kepler-88 autour duquel le télescope spatial Kepler a détecté une première planète, en transit : Kepler-88 b. Cette planète est si fortement perturbée par une autre planète, plus éloignée de son étoile et qui ne transite pas, que ce système a gagné le surnom de "Roi des variations de temps de transit".
Une analyse précédente (5) a prédit que ce système devait être composé d'une paire de deux planètes proches d'une résonance, la période orbitale de la planète externe étant deux fois plus longue que celle de la planète interne. Cette configuration orbitale est similaire à celle de la Terre et de Mars dans le Système solaire, Mars orbitant autour du Soleil en près de deux ans. En utilisant le spectrographe SOPHIE, une équipe européenne d'astronomes a réussi à détecter la seconde planète (Kepler-88 c) grâce à la méthode des vitesses radiales (6), et à mesurer de manière indépendante sa masse et sa période orbitale.
C'est la première fois qu'une exoplanète invisible, déduite de la variation des instants de transit, est confirmée indépendamment par une autre technique. Ce résultat valide donc la technique des TTV pour détecter des planètes invisibles et explorer les systèmes multiplanétaires. Cette technique des TTV a été utilisée pour déterminer la masse de plus de 120 exoplanètes détectées par Kepler dans 47 systèmes planétaires, jusqu'à des planètes à peine plus massives que la Terre. Ce résultat aide ainsi à mieux comprendre les interactions dynamiques et la formation de systèmes planétaires. Cela permet aussi d'anticiper l'exploration future de nouveaux systèmes exoplanétaires depuis l'espace, comme pourra le faire le télescope spatial PLATO (7).
Neptune, la huitième planète du Système solaire, avait également été prédite grâce aux perturbations qu'elle provoque sur une autre planète du Système solaire, Uranus. Le mathématicien français Urbain Le Verrier avait alors calculé que cette anomalie sur l'orbite d'Uranus était due à une autre planète, alors inconnue et en résonance avec Uranus. Ces calculs ont permis à l'astronome allemand Johann Gottfried Galle d'observer Neptune pour la première fois le 23 septembre 1846, confirmant ainsi la prédiction d'Urbain Le Verrier.
Notes :
1. L'équipe est composée de S.C.C. Barros (LAM), R.F. Díaz (LAM/Observatoire Genève), A. Santerne (CAUP/LAM), G. Bruno (LAM), M. Deleuil (LAM), J.-M. Almenara (LAM), A.S. Bonomo (INAF), F. Bouchy (LAM), C. Damiani (LAM),
G. Hébrard (IAP/OHP), G. Montagnier (IAP/OHP) et C. Moutou (CFHT/LAM). Les observations ont été financées grâce au Programme National de Planétologie du CNRS-INSU.
2. SOPHIE est un spectrographe à haute résolution permettant de mesurer la vitesse radiale des étoiles avec une précision de 1m/s. Il est installé sur le télescope de 1,93 mètre de l'Observatoire de Haute-Provence.
3. Le télescope spatial Kepler (NASA) a été mis en orbite le 5 mars 2009 pour observer continuellement 150.000 étoiles dans la région de la constellation du Cygne. L'un des objectifs principaux de cette mission était de détecter
des transits d'exoplanètes. Cette mission a été interrompue prématurément le 15 août 2013 du fait de problèmes techniques.
4. La méthode des transits planétaires consiste à mesurer la diminution de luminosité d'une étoile quand une planète passe devant le disque stellaire, provoquant ainsi une micro éclipse. Avec cette méthode, il est possible
de mesurer le rayon des planètes et leurs périodes orbitales. Cette méthode nécessite que la planète et l'étoile soient parfaitement alignées avec l'observateur.
5. Nesvorny et al. : "KOI-142, the King of Transit Variations, is a Pair of Planets near the 2:1 Resonance", The Astrophysical Journal, Volume 777 (2013).
6. La méthode des vitesses radiales détecte des exoplanètes en mesurant les variations dans la vitesse (radiale) de l'étoile provoquées par le faible mouvement que l'exoplanète imprime sur l'étoile. La variation de vitesse radiale
provoquée par la Terre sur le Soleil est d'environ 10 cm/s, soit 0,36 km/h. Avec cette méthode, il est possible de déterminer la masse des planètes.
7. PLATO est une mission candidate M3 du programme "Cosmic Vision" de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), dont le but est de rechercher d'autres Terres en transit devant des étoiles voisines du Soleil :
http://sci.esa.int/plato
Source :
L'article "SOPHIE velocimetry of Kepler transit candidates X. KOI-142c: first radial velocity confirmation of a non-transiting exoplanet discovered by transit timing" est publié aujourd'hui dans la revue scientifique
Astronomy & Astrophysics : http://www.aanda.org/articles/aa/abs/2014/01/aa23067-13/aa23067-13.html (voir aussi http://arxiv.org/abs/1311.4335)
Contact IAP :
Guillaume Hébrard (IAP, Paris)
Institut d'astrophysique de Paris-CNRS-UPMC
hebrard à iap.fr
Tél. : 33-1-4432-8078
Vue d'artiste du système Kepler-88 b
© Alexandre Santerne (CAUP) / © Image de fond : ESO / S. Brunier
Photo de la coupole du télescope de 1,93 m de l'Observatoire de Haute-Provence (France)
qui utilise le spectrographe SOPHIE, avec le champ de vue de Kepler
© Alexandre Santerne (CAUP)
Animation d'un système planétaire avec deux planètes en résonance : http://www.astro.up.pt/press/kepler-88/planets.mp4
© Ricardo Cardoso Reis (CAUP)
17 décembre 2013