JEREMIAH P. OSTRIKER (1937-2025)
Rares sont les astrophysiciens qui, tout au long de leur carrière, continuent de proposer des idées transformatrices sur les constituants de l'Univers et les mécanismes physiques à l'origine de son évolution. Jeremiah P. (« Jerry ») Ostriker était peut-être le meilleur exemple de ce type rare de scientifique. Il est décédé le 6 avril 2025 d'une insuffisance rénale à l'âge de 87 ans, après une longue maladie.
Figure 1 : Jeremiah Ostriker en 1991.
Crédits : JOHN SOTOMAYOR/The New York Times/Redux.
Ostriker a notamment joué un rôle déterminant (avec P. James Peebles) dans la popularisation de l'idée que les galaxies vivent dans des halos massifs qui stabilisent leurs disques (en utilisant les premières simulations à N corps) [1] et dans l'explication de leur cinématique [2] (indépendamment de Jaan Einasto et de ses collègues en Estonie), avant l'observation des courbes de rotation plates des galaxies spirales par Vera Rubin et d'autres. Il est rapidement devenu largement admis que ces halos sont constitués de matière noire qui domine la densité de masse de l'Univers. Ostriker a ensuite utilisé de grandes simulations pour argumenter, contre la croyance populaire, que la matière noire chaude résout de nombreux problèmes d'observation, en particulier pour les galaxies naines [3]. Il a ensuite popularisé la matière noire ultra-légère, montrant comment elle explique mieux de nombreuses observations [4]. Tout aussi fondamentale fut la première constatation par Ostriker (avec Paul Steinhardt) selon laquelle les observations favorisent un Univers dont la densité d’énergie est dominée par l'énergie du vide, désormais appelée énergie noire [5] (indépendamment d'une proposition similaire de Michael Turner et Lawrence Krauss). Quelques années plus tard, l'énergie noire a été découverte, en utilisant des explosions de supernovae comme chandelles standard, par deux équipes concurrentes dont les leaders ont par la suite reçu le prix Nobel.
Figure 2 : Jerry Ostriker (à droite) avec Yakov Zel’dovich (1976).
Crédit : Photographie transmise par la famille Ostriker.
L'article le plus cité d'Ostriker concernait un modèle triphasé du milieu interstellaire (avec Christopher McKee) impliquant de nombreux mécanismes physiques [6], en particulier le chauffage par supernovae et la conduction, qui concordaient avec de nombreuses observations différentes. Parmi ses nombreuses autres réalisations, Ostriker a été le premier à proposer (avec James Gunn) que les pulsars étaient des étoiles à neutrons dont les champs magnétiques n’étaient pas alignés avec leur spin [7]. Il a proposé (avec Roger Blandford) que les rayons cosmiques étaient accélérés par les chocs [8].
Ostriker s’intéressait principalement aux galaxies. Avec Martin Rees, il a soutenu que les premiers processus physiques imposent une masse maximale aux galaxies [9], comme l'ont montré indépendamment James Binney et Joseph Silk. Il a compris que les galaxies elliptiques massives se développaient par accrétion de satellites via la friction dynamique, ce qu'il a appelé le cannibalisme galactique [10]. Il était obsédé par la minceur des disques de nombreuses galaxies spirales, peut-être à cause d'une affiche géante de l'une d’elles dans sa salle à manger. Il a proposé que les disques minces nécessiteraient non seulement un halo de matière noire pour les stabiliser, mais s'épaissiraient s'ils étaient bombardés par trop d’objets massifs : d’une part par des trous noirs comme constituants du halo de matière noire (à moins qu'ils ne soient massifs) [11] et d’autre part par trop de petites galaxies, cette dernière idée favorisant un Univers de faible densité, désavouant le modèle cosmologique alors populaire d'un Univers de densité de masse critique [12]. Suite à un rêve relaté lors de son sommaire d'une conférence sur la Voie Lactée [13], il a constitué une solide équipe pour réaliser des simulations hydrodynamiques cosmologiques afin de comprendre les mystères des galaxies. Grâce à cela, il a expliqué (avec Renyue Cen) qu'une grande partie du gaz chaud/tiède passe inaperçue car il émet dans l’UV extrême, domaine spectral difficile à observer [14].
![]() Figure 3 : Jerry Ostriker avec Beatrice Tinsley (Tucson, 1974). |
![]() Figure 4 : Ostriker (avec Scott Tremaine en fond) montrant une nouvelle idée au département Sciences Astrophysiques à l'université de Princeton (1978). |
Jerry Ostriker était un astrophysicien formidable, plein d'idées nouvelles, doté d'un esprit vif, d'une compréhension exceptionnellement large des phénomènes astrophysiques, d'un talent rare pour les calculs au dos d’une enveloppe permettant de déterminer l'évolution d'un système astronomique particulier, et était un collaborateur enthousiaste. Ostriker a remporté de nombreux prix prestigieux, dont le prix Helen B. Warner pour les jeunes scientifiques, la chaire Henry Norris Russell, la médaille Karl Schwarzschild, la National Medal of Science américaine, la médaille d'or de la Royal Astronomical Society et le prix Gruber de cosmologie.
Figure 5 : Jerry Ostriker en 2011.
(avec l’autorisation de la famille Ostriker)
Jerry Ostriker a étudié à Harvard, où il a rencontré sa femme et célèbre poète Alicia. Il a effectué son doctorat sous la direction du futur lauréat du prix Nobel, Subrahmanyan Chandrasekhar. Après un postdoctorat à Cambridge, il est devenu professeur à l'université de Princeton, où il est resté 47 ans. Ostriker a dirigé le département de Sciences Astrophysiques pendant 16 ans, où il a encadré un grand nombre d'astrophysiciens aujourd'hui célèbres, dirigé son animation scientifique et visité régulièrement les bureaux des doctorants pour discuter de leurs travaux. Il a joué un rôle administratif important à l’université de Princeton en tant que recteur pendant six ans, où il a réformé le système d'aide financière aux étudiants afin de rendre l’environnement de cette université plus égalitaire. Il a ensuite été Plumian Professor à l'Université de Cambridge pendant trois ans. Nous avons eu la chance de recevoir Jerry à l'IAP à plusieurs reprises (voir plus bas les de ses dernières présentations à l'IAP en 2011 et 2017).
Figure 6 : Jerry Ostriker en 2021.
Crédit : Xenia Helix (transmise par Eve Ostriker).
Dans ses mémoires publiés dans Annual Reviews of Astronomy & Astrophysics [15], il a souligné l'importance de l'ouverture de la science à tous les groupes de personnes, en particulier aux femmes. L'année de sa retraite, où il est devenu professeur à temps partiel à l'Université Columbia, près de son quartier d'enfance, son ancien département a embauché sa fille Eve. La dynastie Ostriker se perpétue donc à Princeton.
Les premiers articles d'Ostriker sur des sujets tels que les pulsars, la matière noire, l'énergie noire et la formation des galaxies sont devenus des références pour les nouvelles générations d'étudiants. Il a poursuivi sa carrière de chercheur actif jusqu'à la fin. Sa passion inébranlable pour les frontières de l'astronomie et de la cosmologie restera longtemps dans la mémoire de ses nombreux collègues, collaborateurs et étudiants.
Écrit par Gary Mamon (dont Ostriker a informellement co-dirigé la thèse de doctorat) et Joseph Silk (un ancien collaborateur de Ostriker).
Références
1. Ostriker & Peebles (1973), « A Numerical Study of the Stability of Flattened Galaxies: or, can Cold Galaxies Survive? », ApJ 186, 467.
2. Ostriker, Peebles, & Yahil (1974), « The Size and Mass of Galaxies, and the Mass of the Universe », ApJ Letters 193, L1, 455.
3. Bode, Ostriker, & Turok (2001), « Halo Formation in Warm Dark Matter Models », ApJ 556, 93
4. Hui, Ostriker, Tremaine, & Witten (2017), « Ultralight scalars as cosmological dark matter », Phys Rev D 95, 043541.
5. Ostriker & Steinhardt (1995), « The observational case for a low-density Universe with a non-zero cosmological constant », Nature 377, 600.
6. McKee & Ostriker (1977), « A theory of the interstellar medium: three components regulated by supernova explosions in an inhomogeneous substrate », ApJ 218, 148.
7. Ostriker & Gunn (1969), « On the Nature of Pulsars. I. Theory », ApJ 157, 1395.
8. Blandford & Ostriker (1978), « Particle acceleration by astrophysical shocks », ApJ Letters 221, L29.
9. Rees & Ostriker (1977), « Cooling, dynamics and fragmentation of massive gas clouds: clues to the masses and radii of galaxies and clusters », MNRAS 179, 541.
10. Ostriker & Tremaine (1975), « Another evolutionary correction to the luminosity of giant galaxies », ApJ Letters 202, L113.
11. Lacey & Ostriker (1985), « Massive black holes in galactic halos? », ApJ 299, 633.
12. Tóth & Ostriker (1992), « Galactic Disks, Infall, and the Global Value of Omega », ApJ 389, 5.
13. Ostriker (1985), « The Milky-Way - Summary and Outlook », IAU Symp. 106, 635.
14. Cen & Ostriker (1999), « Where Are the Baryons? », ApJ 514, 1.
15. Ostriker (2016), « A Fortunate Half-Century », Ann. Rev. of Astron. & Astrophys. 54, 1.
Vidéos de conférences de Jerry Ostriker à l’IAP
On the formation of massive galaxies, 13 mai 2011.
Dark matter: very light particles have the right properties to explain small-scale structure and delayed galaxy formation, 7 décembre 2015.
Rédaction
- Gary Mamon
Institut d’astrophysique de Paris, CNRS, Sorbonne Université
gam [à] iap [point] fr - Joseph Silk
Institut d’astrophysique de Paris, CNRS, Sorbonne Université
silk [à] iap [point] fr
Mise en page : Jean Mouette
Avril 2025