Archives des actualités - Août 2000  

Un mètre cosmique

Comment mesurer la courbure de l'Univers ?
 
Une réponse toute simple à cette question est : « Trouvez une bonne règle étalon et l'utiliser ! » Tout ce qu'il faut, c'est trouver le bon mètre, qui soit valable aux distances cosmiques.

Tout d'abord, entendons-nous sur la notion de courbure. Si l'Univers est courbe, par exemple comme la surface de la Terre qui est presque sphérique, alors la relation entre la distance d'un objet et son angle ne sera pas ce que l'on attend dans le cas d'un espace plat.

Si quelqu'un, au pôle Nord, dessine, sur une feuille de papier, une carte du monde, en se plaçant lui-même au centre, il trouvera que l'Antarctique est un continent énorme en forme d'anneau, et que les dimensions des pays du Sud sont exagérées par rapport à leurs étendues réelles. S'il connaît les tailles réelles de tous ces pays lointains, notre géographe du Nord pourrait en déduire que la surface de la planète n'est pas plane, mais sphérique.
 

Les astronomes tentent le même exercice en trois dimensions. Si on connaît par avance les tailles réelles des objets lointains, et si leurs tailles angulaires mesurées s'avèrent plus grandes, égales, ou plus petites que celles prévues par la géométrie plane, on peut en déduire que l'espace est sphérique, plat ou encore hyperbolique, un peu comme une surface en forme de selle de cheval.

La courbure de l'Univers est fonction de deux paramètres de l'Univers : d'une part, le paramètre de densité, qui vaut 1 si la densité de l'Univers est juste assez grande pour que son expansion ralentisse sans cesse, presqu'au point de s'arrêter, et d'autre part, la constante cosmologique, représentant une énergie additionnelle de l'Univers, dont la nature reste encore mystérieuse, et qui contribue à accélérer l'expansion de l'Univers. La théorie des tous premiers instants de l'Univers suggère que l'Univers puisse être presque plat, ce qui implique que la somme de ces deux paramètres doit valoir à peu près 1.
 
Pour mesurer la courbure, il faut donc disposer d'objets lointains de dimension connue et qui peuvent servir de règles étalons cosmiques.
Deux chercheurs, Boud Roukema, à l'IUCAA, en Inde (et visiteur au DARC, Observatoire de Paris-Meudon) et Gary Mamon, à l'IAP (et associé au DAEC, Observatoire de Paris- Meudon), ont proposé d'employer la taille moyenne des « bulles » des grandes structures de l'Univers, tracées par des galaxies, comme étalon statistique pour mesurer la courbure de l'Univers.

En effet, aux très grandes échelles de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'années-lumière, la gravitation n'influence que très faiblement les mouvements relatifs (même si elle est d'une importance primaire dans l'expansion moyenne de l'Univers). Ainsi, dans une carte compensée de cette expansion, les très grandes structures devraient rester à peu près figées dans le temps (mais deviendraient plus marquées, par attraction de la matière environnante). En un mot, elles servent d'étalon dans un repère dit comobile avec l'expansion de l'Univers.
Dans l'Univers local, représentant les conditions de l'Univers au temps présent, de telles structures de galaxies sont bien connues depuis la découverte du Grand Mur par Valérie de Lapparent (IAP) et ses collègues au milieu des années 80.

Il suffirait de détecter ces structures à grande distance à l'aide d'objets assez brillants et ensuite de rechercher les valeurs que doivent avoir les paramètres de courbure afin que les bulles lointaines aient, en moyenne, la même taille que les bulles locales.

L'image ci-dessous montre que les deux chercheurs ont trouvé des bulles parmi les quasars lointains. Mais pour que ces bulles aient la même taille (les figures sont corrigées pour l'expansion de l'Univers) que les bulles de l'Univers local, il faut que le paramètre de densité vaille environ 0,3, tandis que la constante cosmologique n'est que très faiblement contrainte. Ainsi, cette approche de la géométrie de l'Univers produit la même valeur du paramètre de densité que l'étude des mouvements des galaxies dans les amas et dans les groupes de galaxies.
Si on combine cette analyse avec celles d'autres équipes qui utilisent des supernovae (étoiles qui explosent) dans les galaxies lointaines, et qui en déduisent que la constante cosmologique est non-nulle, on arrive à la conclusion que l'Univers est presque plat et que le modèle de l'Univers en accélération (avec constante cosmologique non-nulle) semble être le bon.

Les cercles dessinés sur l'image de l'Univers proche (centre du diagramme, sondage Las Campanas) montrent d'une façon simple la distribution spatiale des galaxies, en forme de bulles et de vides, de taille similaire à celle du Grand Mur.

Si le modèle plat avec constante cosmologique est le bon, alors des cercles de la même taille devront pouvoir être dessinés sur l'image du haut (points en rouge, où le modèle de courbure est celui avec paramètre de densité égal à 0,3 et constante cosmologique égale à 0,7) pour tracer les grandes structures distantes. C'est bien le cas.

Si le modèle (encore très à la mode récemment) de l'univers plat sans constante cosmologique était le bon, alors on pourrait copier les cercles du sondage proche sur les structures du sondage des quasars lointains montré en bas (points en noir, pour paramètre de densité égal à 1 et sans constante cosmologique). Or, les cercles sont trop grands, ou plutôt, les bulles des grandes structures ne sont pas suffisamment grandes.

Il est clair que, c'est la carte du haut, et non celle du bas, qui donne le bon choix des paramètres de courbure : l'Univers est presque plat avec une constante cosmologique non-nulle !

Dans un proche avenir, les équipes françaises espèrent détecter le même genre de distribution des galaxies, des quasars et du gaz chaud à grande distance, dans les nouveaux grands relevés, par exemple dans le relevé profond VIRMOS, qui est en cours actuellement sur le grand télescope européen, le VLT. Avec ces données, nous en déduirons des contraintes sur la courbure de l'Univers et sur la constante cosmologique encore plus précises que celles que nous venons d'obtenir.
   
 
Liens utiles
Sources :
  • Article professionnel (difficile à lire pour les non-spécialistes !) : Tangential Large Scale Structure as a Standard Ruler: Curvature Parameters from Quasars, Roukema & Mamon (2000), astro-ph/9911413
  • Catalogue de quasars : Iovino, Clowes et Shaver 1996
  • Tucker, Lin, Shectman, The Universe on Very Large Scales: A View from the Las Campanas Redshift Survey, in "Wide Field Surveys in Cosmology," proceedings of the 14th IAP Astrophysics Colloquium, May 26-30, 1998, astro-ph/9902023