L'hydrogène représente 90 % des atomes qui composent l'Univers. Cet
élément est l'atome le plus simple et le plus léger ; sous sa forme
ordinaire, il est composé d'un électron et d'un noyau contenant
uniquement un proton. Certains atomes d'hydrogène ont cependant la
particularité de contenir un neutron en plus du proton dans leur
noyau. Cette forme d'hydrogène, appelée deutérium, est beaucoup moins
abondante.
Les conditions nécessaires à la synthèse du deutérium sont très
particulières et elles n'ont probablement été remplies qu'à un seul
moment, il y a quinze milliards d'années, quelques minutes après le
Big Bang. C'est à cette époque qu'ont été synthétisés, par fusion,
les premiers noyaux atomiques. Un proton pouvait alors fusionner
avec un neutron pour donner naissance à un noyau de deutérium.
Celui-ci pouvait en principe fusionner à son tour avec un autre
noyau pour donner naissance à un noyau plus lourd. Mais l'expansion
de l'Univers, en diluant la matière, rendait moins probable la
rencontre d'un deutérium avec un autre noyau ; certains noyaux de
deutérium ont donc survécu. Les traces du deutérium restant sont
ainsi un indicateur direct de la vitesse d'expansion de l'Univers et
de sa densité de matière. Elles constituent ainsi un fossile datant
de l'Univers primordial.
Un autre effet vient pourtant compliquer ce scénario. Le deutérium
fossile, très fragile, n'a pas cessé d'être détruit au cours du temps
depuis le Big Bang. Il est en effet continuellement brûlé par les
étoiles, qui forment des éléments lourds (hélium, carbone, oxygène,
azote...) à partir d'éléments plus légers comme l'hydrogène et le
deutérium. Ces éléments sont ensuite rejetés au sein de la Galaxie.
Mesurer l'abondance du deutérium dans des milieux à différents stades
d'évolution permet donc non seulement de mieux comprendre le Big Bang,
mais également d'appréhender l'évolution chimique des galaxies.
Beaucoup de moyens observationnels sont donc mis en oeuvre pour
effectuer ces mesures très importantes.
Les mesures d'abondances se font au moyen d'observations
spectroscopiques (un spectroscope est un appareil qui permet de
décomposer la lumière, afin de connaître l'intensité lumineuse dans
les différentes couleurs, c'est-à-dire dans les différentes longueurs
d'onde). Tous les éléments possèdent des signatures caractéristiques
dans la lumière émise par les astres. Ces signatures prennent la forme
de raies dans le spectre lumineux ; on peut les comparer à une sorte
de "code barre" permettant d'identifier les éléments chimiques.
L'étude de la lumière d'un astre et l'analyse des raies spectrales
qu'elle contient permettent ainsi de déterminer sa composition
chimique.
Les raies du deutérium les plus couramment utilisées se trouvent
dans le domaine de la lumière ultraviolette (raies dites de la "série
de Lyman"). Stoppés par l'atmosphère terrestre, les ultraviolets ne
peuvent être observés que depuis l'espace. Le Télescope spatial Hubble
réalise de telles mesures, de même que le satellite FUSE, mis en
orbite en juin 1999. FUSE est un satellite observatoire de la NASA
réalisé en collaboration avec les agences spatiales française (le
CNES) et canadienne (CSA). Son objectif principal consiste à mesurer
l'abondance du deutérium dans de nombreux milieux astrophysiques,
programme dans lequel une équipe de l'Institut d'Astrophysique de
Paris est très impliquée.
Une nouvelle méthode d'observation du deutérium a été récemment
proposée par cette équipe. Elle pourrait permettre d'ouvrir une
nouvelle voie observationnelle pour la mesure de l'abondance du
deutérium. Elle est fondée sur l'observation de nouvelles raies du
deutérium, celles dites de la "série de Balmer". L'un des avantages de
ces raies réside dans le fait qu'elles se trouvent dans le domaine
visible du spectre lumineux, pour lequel l'atmosphère est transparente
: elles sont donc observables à partir de télescopes au sol, plus
accessibles et moins onéreux que les télescopes spatiaux. Prédites
théoriquement, les raies de Balmer du deutérium n'avaient jamais pu
être identifiées, notamment du fait de la difficulté de leur
observation qui nécessite l'utilisation d'instruments très sensibles.
Les premières observations ont été réalisées avec un spectroscope
installé au télescope Canada-France-Hawaii. L'instrument était pointé
sur la Grande Nébuleuse d'Orion. Ce nuage de gaz est excité par les
étoiles situées juste devant lui. Le spectre obtenu montre notamment
une intense raie en émission, observée depuis longtemps dans ce genre
de nébuleuses et caractéristique de la présence d'hydrogène. Mais
lorsqu'on regarde avec plus d'attention cette raie, on observe une
seconde émission, environ 5000 fois plus faible, au pied de la
première ! Ces observations ont permis de montrer que cette petite
raie était due au deutérium, identifié pour la première fois dans une
nébuleuse à partir d'observations dans le visible.
Cette découverte a été récemment confirmée avec l'un des quatre
télescopes de 8 mètres de diamètre du Very Large Telescope, en cours
d'installation par l'Observatoire Européen Austral, dont la France est
membre. Ces nouvelles observations ont permis de détecter une dizaine
de raies du deutérium dans la Nébuleuse d'Orion et dans d'autres
nébuleuses. La découverte de la série de Balmer du deutérium ne fait à
présent plus l'ombre d'un doute. L'étape suivante consiste à utiliser
ces observations pour en tirer des mesures précises de l'abondance du
deutérium.
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