Le fond diffus cosmologique
Figure
1 et
Figure
2
La théorie
du Big-Bang prévoit que 500.000 ans après l'explosion initiale, la
matière et le rayonnement se sont découplés. L'Univers ayant une
température de 3.000 K [Kelvin] à l'époque, le rayonnement était donc
celui d'un corps noir à cette même température. Depuis, l'Univers est
immergé dans un bain de photons dont la température décroît
régulièrement avec le temps du fait de l'expansion continue.
Actuellement, nous baignons dans ce qu'on appelle un fond diffus
cosmologique dont la température a été mesurée très exactement par la
mission spatiale COBE, T = 2,726 K. C'est très froid certes, mais
suffisant pour être l'un des supports les plus solides de la théorie
puisqu'il correspond à un fossile appartenant à la période la plus
reculée observable aujourd'hui. Certains chercheurs ont suggéré
toutefois que ce rayonnement pourrait avoir une autre origine que
cosmologique. Ainsi, l'idée que le fond pourrait être émis par une
population d'objets proches et poussiéreux a été avancée. Même si,
dans ce cas, les arguments n'ont convaincu que très peu de chercheurs,
il n'en est pas moins vrai qu'une théorie reste fragile tant qu'elle
n'est pas étayée par des tests solides et nombreux. Une théorie doit
être confirmée grâce à des tests observationnels indépendants.
Dans le cas de la théorie du Big-Bang, un des tests
les plus critiques serait de montrer que le fond diffus existe à toute
époque de l'histoire de l'Univers, avec une température d'autant plus
élevée qu'on la mesure à un moment plus lointain dans le passé. Facile
à dire, pas facile à faire. C'est pourtant ce tour de force qu'a
réussi l'équipe de Patrick Petitjean, en étudiant les propriétés d'un
nuage de gaz se trouvant à douze milliards d'années-lumière de la
Terre.
Le principe de la mesure :
les raies d'absorption dans le spectre des quasars
L'Univers est rempli de gaz obscur qu'il est impossible de détecter
directement car il n'émet pas de lumière. Il existe toutefois une
méthode très sensible pour détecter ce gaz. Elle consiste à rechercher
l'absorption qu'il produit dans le spectre de sources lumineuse
situées en arrière-plan.
On détecte donc le gaz par l'ombre qu'il fait aux
sources lointaintes. Les quasars sont des objets extrêmement lumineux
que l'on détecte même s'ils sont situés aux confins de l'Univers à
plus de dix milliards d'années lumière de notre système solaire. Le
rayonnement qu'ils émettent parcourt donc une distance considérable à
travers l'Univers. Sur ce trajet, il traverse, à l'occasion, des
halos, des disques de galaxies et même des nuages solitaires peuplant
le vide intergalactique. Tous ces objets qui contiennent le gaz de
l'Univers, vont absorber une petite partie de la lumière du quasar et
donc laisser leur signature dans son spectre. On peut ainsi étudier
les propriétés physiques de l'Univers lointain.
De plus, la lumière ayant une vitesse finie, on
observe les objets se trouvant à dix milliards d'années-lumière tels
qu'ils étaient il y a dix milliards d'années. On peut donc voir
l'Univers à des époques très reculées et retracer ainsi son histoire
de son origine jusqu'à nos jours.
Les observations
À quelque douze milliards d'années-lumière, interposé par hasard
entre nous et le quasar PKS1232+0815, se trouve un nuage de gaz dense
dans lequel du carbone neutre, mais surtout des molécules d'hydrogène,
ont été observées. Il faut noter qu'une telle coïncidence est
extrêmement rare et représente une situation idéale pour faire une
mesure du fond diffus cosmologique à un moment où l'Univers n'avait
pas le quart de son âge actuel.
Le télescope KUYEN de huit mètres de diamètre,
installé au Chili par l'Observatoire européen (ESO), a été mis en
service le 1er avril 2000. Au cours de la première nuit d'utilisation,
le quasar PKS1232+0815 a été observé à l'aide du spectrographe échelle
UVES (Ultraviolet and Visible Echelle Spectrograph) qui s'avère être
l'instrument de ce type le plus performant au monde. Une pose de trois
heures a été nécessaire pour obtenir un spectre de rapport signal sur
bruit adéquat.
Mesure de la température du fond diffus
cosmologique
Une fois l'observation faite, la mesure est, en principe, simple :
les photons du fond diffus sont capables d'exciter les atomes de
carbone neutre. Il suffit de mesurer cette excitation pour mesurer la
température du fond diffus. Oui mais voilà, les atomes de carbone
neutre sont aussi excités par les collisions avec les électrons et les
atomes d'hydrogène ; ils sont aussi excités par le flux ionisant
provenant des étoiles se trouvant dans les environs du nuage.
Donc mesurer l'excitation des atomes de carbone
neutre est bien, mais il faut aussi mesurer la densité en électrons,
en hydrogène, ainsi que la température du gaz et le rayonnement des
étoiles environnantes. Plusieurs équipes américaines utilisant le
télescope Keck avaient bien essayé ces dernières années de mener à
bien ce test, sans succès toutefois. Grâce la supériorité du nouvel
instrument européen sur son concurrent américain et aussi... à un peu
d'astuce de la part de notre équipe franco-indienne, le test a été
mené à bien.
Plus techniquement, la température du gaz (~300 K)
a été mesurée grâce au rapport des populations des niveaux
rotationnels J=0 et J=1 de la molécule d'hydrogène. La densité
d'hydrogène (~30 particules par cm3) a été déterminée à
partir de l'excitation de C+. Le rayonnement des étoiles
environnantes a été évalué grâce encore à la fluorescene des molécules
d'hydrogène.
La conclusion de la mesure est que la température
du fond diffus était de 9,5 K il y a douze milliards d'années. Cela
correspond exactement, aux incertitudes de mesure près, à ce qui est
prédit par la théorie du Big-Bang.
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