L'environnement planétaire
La plupart des planètes possèdent leur propre champ magnétique
qui repousse le vent solaire, en créant une cavité de forme cométaire, appelée
la magnétosphère. Un bouclier électromagnétique s'établit, protégeant
ainsi la planète de l'impact des particules chargées externes, d'origine
solaire ou interstellaire. Néanmoins, des effets de friction y induisent
une circulation de plasma, processus dynamique qui donne naissance aux émissions
radio planétaires et aux aurores dans les zones polaires. Une façon très
efficace pour étudier le couplage entre l'atmosphère et la magnétosphère
d'une planète, consiste donc à observer les émissions aurorales car elles
sont à la fois le reflet de la nature et de l'état des particules magnétosphériques
et celui de l'atmosphère bombardée par ces particules.
L'environnement de Jupiter
Jupiter possède la magnétosphère la plus étendue du système
solaire. Si elle était visible dans le ciel, sa taille apparente dépasserait
celle du Soleil ou de la Lune ! C'est aussi la plus puissante des magnétosphères,
ses émissions aurorales et radio dépassant en intensité celles de toutes les
autres planètes réunies. Son énergie provient non seulement de sa taille,
mais aussi de sa rotation rapide (période de rotation de 10h), et de l'apport
continu de plasma, déversé par les volcans de son satellite le plus proche Io.
Un des aspects les plus intrigant de la magnétosphère de Jupiter est la
modulation de ses émissions radio sur sa fréquence de rotation, un
comportement similaire aux pulsars. C'est donc un véritable laboratoire qui
nous permet de mieux étudier des processus physiques divers, avant de les
appliquer à l'étude aussi bien de la magnétosphère terrestre, que des objets
astrophysiques lointains comme les pulsars.
Les observations
La traque des taches lumineuses laissées par les pieds des
tubes de flux magnétiques des satellites planétaires a débuté il y a
plusieurs années. La première détection en infra-rouge, attribuée au
satellite Io, a été faite en 1993. C'est grâce à l'avènement du télescope
spatial Hubble, que
plusieurs observations ont pu être effectuées dans l'ultraviolet, confirmant
le résultat obtenu pour Io, et révélant deux nouvelles détections,
respectivement pour Europe et Ganymède. Il a fallu néanmoins la moisson
d'images obtenues au moment du passage
de la sonde Cassini tout près de Jupiter en décembre 2001, pour réussir
à couvrir une rotation complète des spots lumineux, observés au pied des
tubes de flux de chacun des satellites. La relation directe entre la rotation de
chacun des spots avec celle de son satellite a ainsi pu être clairement établie.
Malgré la nature très différente de chacun des satellites, volcanique pour
Io, océanique pour Europe, et magnétique pour Ganymède, ces observations établissent
ainsi le caractère général de l'interaction électromagnétique entre les
satellites et leur planète parente via sa magnétosphère.
Pour les astrophysiciens, ces détections représentent un trésor
d'informations. La position respective des spots par rapport aux émissions
aurorales classiques permet déjà d'en situer l'origine au-delà de l'orbite
des satellites. De plus, en affinant la corrélation de la position de chaque
satellite, à la position du spot lumineux observé sur le disque planétaire,
on pourra tester la nature dipolaire ou non du champ magnétique de la planète.
L'ensemble de ces informations permettra d'accéder à une meilleure
connaissance du champ
magnétique de Jupiter, ainsi que des interactions électromagnétiques,
encore inconnues, entre les régions éloignées de la magnétosphère et la
planète elle-même.
En plus de l'aspect spectaculaire de la lueur émise en
permanence à la surface de la planète, les empreintes laissées par les tubes
de flux magnétique issus de chacun des satellites nous informent, entre autres,
sur les propriétés du plasma dans la magnétosphère de Jupiter, au niveau précis
de chacun des satellites. Grâce à la présence de sondes spatiales de passage
ou en orbite autour de Jupiter (Cassini, Galileo), ces informations permettront
enfin de relier les mesures in situ, effectuées par ces sondes, à la
vue globale du système planétaire obtenue à partir de la terre (HST, VLT,
etc.).
Perspectives
Lorsque l'on pense que Jupiter se trouve à cinq fois la
distance terre-soleil, et qu'on voit la richesse et l'intensité de ses émissions
aurorales, comment ne pas rêver aux planètes extra solaires beaucoup plus
proches de leurs étoiles parentes, et des émissions aurorales extraordinaires
qui devraient s'y développer ? Contrairement à Jupiter, qui est toute proche
de nous, les planètes extra solaires observées sont lointaines (>2
parsecs). Toute émission issue de leurs atmosphères s'en trouve irrémédiablement
affaiblie avant d'atteindre nos télescopes. Il faut à cela ajouter la
difficulté majeure de séparer un signal planétaire faible mélangé avec un
signal stellaire assez fort. Il faudra sans doute une nouvelle génération de télescopes
et de détecteurs pour réussir de telles prouesses. Cela ne nous empêche pas néanmoins
de chercher toujours la petite lueur extra solaire en scrutant des données récentes
obtenues par les meilleurs instruments à bord du télescope spatial Hubble. L'étude
est actuellement conduite par une équipe de chercheurs à l'IAP.
Remerciements
Ces résultats sont publiés dans le numéro du 28 février
2002 du journal anglais Nature. Ce travail de longue haleine a été possible grâce
à une collaboration de plusieurs années entre plusieurs équipes
internationales, dont l'Institut d'Astrophysique de Paris (L. Ben-Jaffel),
l'université de Boston (J.T. Clarke), et l'université de Liège (J.C. Gérard).
Il a pu aboutir grâce au soutien du CNRS,
par l'octroi d'un poste de chercheur invité de trois mois à notre collègue
John Clarke en 1999. Le CNES,
le Programme National de Planétologie, et la société Compaq
ont beaucoup contribué au soutien de ce projet. Le télescope spatial Hubble
est un projet de coopération internationale entre la NASA et l'ESA.
28 février 2002
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