Les théories de physique fondamentale sont basées sur des constantes
dont les valeurs sont déterminées expérimentalement comme la vitesse
de la lumière, la constante de Planck, la charge et la masse de
l'électron etc. Changer ces constantes c'est comme perdre le nord
et, pour le retrouver, il nous faudrait changer la physique.
D'ailleurs, certaines théories modernes qui essayent d'unifier les
interactions fondamentales (gravité, forces nucléaires, forces
électromagnétiques) prédisent une dépendance de ces constantes avec
l'énergie mais également autorisent une variation dans le temps et
l'espace. Contraindre les variations des constantes fondamentales
dans le temps est donc un problème très important de physique
fondamentale (Uzan 2003).
Dans ce jeu, il est très important de tester des constantes sans
dimension (sans unité) car, on le sait bien, les changements d'unité
peuvent entraîner des confusions regrettables suivant que l'on
conduit d'un côté ou de l'autre de la route. Ne pas avoir d'unité
est donc un avantage certain pour qu'une constante puisse être
reconnue comme une constante ayant la même valeur partout.
Deux de ces constantes sans unité ont une importance particulière :
- la constante de structure fine
α = e2 / ħc
dont la valeur au laboratoire est connue très précisément,
1/137.03599958, est une combinaison de la charge de l'électron, de
la constante de Planck et de la vitesse de la lumière
- μ = mp
/ me qui est le rapport de la masse du proton à celle de l'électron.
Mesurer ces constantes dans le passé
Remonter le temps n'est pas chose facile ! Mais c'est possible en
observant des objets très lointains car, regarder loin c'est aussi
regarder dans le passé de l'Univers. En particulier, les quasars
très lumineux peuvent être observés très loin dans l'Univers quand
leur lumière a été émise et a commencé à voyager vers nous il y a
plus de 12 milliards d'années.
En observant la lumière de ces quasars il est possible de tester la
physique et ses constantes telles qu'elles étaient il y a plus de 12
milliards d'années.
Le principe de la mesure : les raies
d'absorption dans le spectre des quasars
L'Univers est rempli de gaz obscur qu'il est impossible de
détecter
directement car il n'émet pas de lumière. Il existe toutefois une
méthode très sensible pour détecter ce gaz. Elle consiste à
rechercher
l'absorption qu'il produit dans le spectre de sources lumineuse
situées
en arrière-plan. On détecte donc le gaz par l'ombre qu'il fait aux
sources
lointaines et par exemple un quasar.
Le rayonnement qu'émettent les quasars lointains parcourt
une distance considérable à travers l'Univers. Sur ce trajet,
il
traverse des halos, des disques de galaxies et même
des
nuages solitaires peuplant le vide
intergalactique. Tous ces objets qui contiennent le gaz de l'Univers vont absorber une petite partie de
la lumière du quasar et laisser leur signature dans son spectre.
On peut
ainsi étudier les propriétés physiques de l'Univers lointain.
En particulier, quand la lumière traverse un halo de galaxie, elle
rencontre des nuages de gaz qui peuplent le halo. A chacun de ces
nuages correspond une petite absorption due à différents métaux, principalement le fer
et
le magnésium une fois ionisés (les astronomes parlent de FeII et MgII)
mais cela peut être du carbone, de l'oxygène voir même des molécules.
La position de cette absorption dans le spectre dépend d'une part
de la position du nuage dans l'Univers (on appelle cela le décalage
spectral) mais aussi de la longueur d'onde de la transition dont on
essaye de tester la variation. Le décalage spectral est le même pour tous les
éléments,
le décalage dû à la variation de la longueur d'onde de la
transition
est différent d'une transition à l'autre. En étudiant les décalages
relatifs
des transitions on peut donc contraindre certaines constantes
fondamentales.
Alpha (α)
L'énergie des transitions atomiques dépend de la constante de
structure fine α. Ses variations sont donc enregistrées dans
la longueur d'onde de ces transitions, et plus précisément celles du
fer et du magnésium. Il faut donc mesurer les longueurs d'onde de
transitions connues au laboratoire et observer si ces
longueurs d'onde étaient les mêmes dans le passé.
Récemment, une équipe anglo-australienne avait affirmé que
α
variait au cours du temps (Webb et al. 2001) et il était très
important qu'un autre groupe se lance dans cette aventure périlleuse.
En effet, il faut mesurer des décalages microscopiques dans le
spectre des quasars. Ces mesures sont très difficiles car les
décalages attendus sont très petits.
Il n'a pas fallu moins de 34 nuits d'observations au télescope Kuyen
du Very Large Telescope au Chili pour refaire cette mesure mais en
mieux !
Toutes ces données ont été réduites et analysées à l'Institut
d'Astrophysique de Paris. Les mesures ont été calibrées grâce à des
simulations sophistiquées et l'analyse a été complétée par une
équipe de l'Inter University Center for Astronomy and Astrophysics à
Pune en Inde.
Un exemple des données est montré sur la figure 1 et le résultat des
mesures est résumé sur le graphe de la figure 2.
|