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La relativité générale et la spirale infernale des étoiles binaires compactes


À l'aide des équations d'Einstein, une équipe du GReCO de l'IAP, menée par Luc Blanchet, a développé une prédiction théorique très poussée d'ondes gravitationnelles pour les expériences VIRGO et LIGO.

La théorie relativiste de la gravitation, très bien vérifiée par les tests classiques dans le système solaire et par le rayonnement gravitationnel du pulsar binaire, est un des outils fondamentaux de l’astrophysique. Elle permet le calcul de la forme de l’onde gravitationnelle émise lors de la phase spiralante des binaires d’étoiles à neutrons et de trous noirs. À partir d’une approximation dite post newtonienne développée à un ordre élevé, la prédiction de cette théorie est utilisée comme “patron d’onde” pour la recherche et l’analyse du signal dans le réseau de détecteurs d’ondes gravitationnelles VIRGO/LIGO.

Détecteur interférométrique VIRGO sur le site de Cascina, près de Pise (CNRS/INFN)

La relativité générale est maintenant une vieille dame, qui est née en 1915 après des années de gestation laborieuse remontant à la découverte de la relativité restreinte en 1905, l’année miraculeuse d’Einstein dont nous fêtons le centenaire. Nous allons voir que cette vieille dame est très en forme, car plus que jamais la relativité générale est considérée comme la théorie de la gravitation.

Le phénomène familier de la gravitation possède en relativité générale l’interprétation extraordinaire d’être la manifestation de la courbure de l’espace et du temps produite par la présence des corps massifs. Cette description est une conséquence d’un principe fondamental, appelé de nos jours le principe d’équivalence d’Einstein, qui est la traduction en physique moderne du fait que tous les corps sont accélérés de la même façon dans un champ gravitationnel. C’est bien sûr Galilée qui a fait remarquer l’importance de cette “universalité” du mouvement de chute libre des corps, mais c’est Einstein qui a donné à ce fait expérimental son statut définitif.

Dès 1845, Le Verrier à l’Observatoire de Paris avait remarqué que l’orbite de Mercure précesse à chaque rotation avec un angle qui est légèrement en avance par rapport à la prédiction théorique. Avec les corrections purement relativistes d’Einstein, après l’obtention des équations du champ gravitationnel en novembre 1915, les résultats numériques étaient complètement en accord avec l’observation. C’était le premier test classique de la théorie relativiste de la gravitation dans le système solaire.

Le deuxième “test classique” est celui de l’angle de déviation de la lumière en provenance d’une source lointaine (un quasar dans les mesures récentes), par le champ de gravitation du Soleil. L’angle calculé en relativité générale est deux fois la valeur estimée en théorie de Newton. Il fut mesuré lors d’une éclipse du Soleil par Eddington en 1919, qui put d’ores et déjà conclure que la théorie de Newton était exclue expérimentalement. L’effet Shapiro, qui complète le triptyque des tests, est un retard dû au champ de gravitation dans les temps d’arrivée de photons ayant rasé la surface du Soleil. Il a été calculé et observé pour la première fois en 1964.

La relativité générale est maintenant vérifiée dans le système solaire à mieux que 1/1000ème près. Des mesures très précises d’astrométrie, telles que celles du futur satellite GAIA qui sera lancé par l’agence spatiale européenne, devraient encore améliorer la précision sur la déviation de la lumière. Cependant, dans le système solaire, les vitesses des corps sont très petites par rapport à la vitesse de la lumière, et le champ de gravitation est faible, car le potentiel newtonien est très faible en unités relativistes. Les tests classiques n’ont donc vérifié qu’un régime assez restreint de la théorie, celui de sa limite “quasi-newtonienne”.

Après son enfance brillante, la vieille dame a connu une adolescence difficile. Elle fut longtemps considérée comme un “paradis pour le théoricien”, mais un “désert pour l’expérimentateur”. On peut dire que les expériences modernes de gravitation ont commencé avec la vérification précise en laboratoire du décalage gravitationnel vers le rouge ou effet Einstein en 1960, souvent considéré comme le 4ème test classique de la théorie.

Aujourd’hui la relativité générale est un “outil” permettant d’explorer l’existence et de comprendre les observations de nouveaux objets ou de nouveaux phénomènes en astrophysique et va probablement permettre d’ouvrir une nouvelle “fenêtre” en astronomie, celle des ondes gravitationnelles, car ce rayonnement a des propriétés spécifiques très différentes des ondes électromagnétiques.

PSR 1913+16, découvert en 1974, est un pulsar, c’est-à-dire une étoile à neutrons en rotation rapide sur elle-même, qui envoie à chaque rotation, tel un phare, du rayonnement électromagnétique radio en direction de la Terre. L’analyse des instants d’arrivée des pulses radio montre qu’il est en orbite autour d’une étoile compagnon, probablement une autre étoile à neutrons. Ce système double émet du rayonnement gravitationnel, ce qui se traduit par une perte d’énergie orbitale, et donc par le rapprochement des deux étoiles l’une de l’autre. La prédiction théorique de la décroissance de la période orbitale est en excellent accord avec les observations réalisées. C’est l’une des confirmations les plus importantes de la relativité générale.

Des nouvelles expériences vont tenter pour la première fois de détecter le rayonnement gravitationnel produit par des sources cosmiques (par exemple les supernovæ et les systèmes binaires), avec des interféromètres à laser de grande taille, comme LIGO, aux États-unis, et VIRGO, qui est construit près de Pise. Les supernovæ, qui sont des explosions d’étoiles massives en fin de vie lorsqu’elles ont épuisé tout leur “combustible” nucléaire engendrent en fait peu de rayonnement. Beaucoup plus intéressants sont les systèmes binaires, comme celui de PSR 1913+16, car leur dynamique est fortement asymétrique et ils en engendrent beaucoup.

L’existence des binaires spiralantes de trous noirs est plus incertaine que celle des étoiles à neutrons, car malheureusement on ne connaît pas de systèmes de deux trous noirs dans notre Galaxie. Dans les binaires compactes spiralantes, l’orbite rapprochée précédant immédiatement la fusion des deux corps pour former un trou noir unique a la forme d’une spirale circulaire rentrante. C’est principalement pendant cette phase spiralée que l’onde gravitationnelle qui sera détectée par VIRGO et LIGO est produite.

L’approximation post newtonienne, qui consiste à développer la relativité générale autour de la théorie de Newton, est la seule technique connue qui permette de décrire la phase spiralante des binaires compactes. Passée la dernière orbite circulaire, le développement post newtonien devrait en principe être remplacé par un calcul d’intégration numérique des équations d’Einstein, mais cela n’est pas réalisable actuellement.

La prédiction théorique adéquate pour les binaires spiralantes n’existait pas, et il a fallu la développer spécialement dans le but de fournir les patrons d’ondes nécessaires à l’analyse du signal dans LIGO/VIRGO. C’est la première fois dans l’histoire de la relativité générale que la réalisation d’expériences nouvelles suscite des développements théoriques nouveaux. Pour détecter le signal gravitationnel, on effectue la corrélation du résultat, le patron d’onde gravitationnelle, avec le signal de sortie du détecteur. Si le patron est une copie fidèle du signal réel (c’est-à-dire si la prédiction de la relativité générale est correcte), alors la corrélation est importante, et l’on aura détecté une onde gravitationnelle.

Comme les binaires compactes spiralantes sont des systèmes extrêmement relativistes, le patron d’onde gravitationnelle doit prendre en compte toutes les corrections relativistes jusqu’à un ordre élevé, qui en langage post newtonien correspond à l’approximation (v/c)6 (dite aussi 3PN) au-delà de la formule du quadrupole d’Einstein qui décrit l’onde à l’ordre le plus bas.

La comparaison des signaux réels reçus dans VIRGO/LIGO avec le patron d’onde à l’ordre 3PN permettra de mesurer de façon très précise les paramètres de la binaire (masses, spins) et de faire des test nouveaux de la relativité générale.

 

 

 

 


Onde gravitationnelle
h(t) émise par une binaire compacte spiralante.
La fréquence et l’amplitude de l’onde augmentent adiabatiquement au cours du temps.


Article rédigé par Annia Domenech et Luc Blanchet.

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Luc Blanchet blanchet @ iap.fr

septembre 2005