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L'Univers selon Mare Nostrum


Comment connaître ou reconstruire l´histoire de l’Univers ? Les objets dont il est constitué, sa composition chimique ou les rayonnements qui le parcourent sont autant d’indices, car plus on regarde loin plus on s’éloigne dans le passé… Un voyage qui nous révèle l’Univers tel qu’il était au début de son expansion.

On peut observer ainsi avec une grande précision le rayonnement du Fond Diffus Micro-ondes (abrégé en anglais par CMB) à l’aide d’expériences emportées par des ballons stratosphériques ou des satellites, Planck par exemple ou encore le satellite COBE, qui a valu à son concepteur, George F. Smoot, le prix Nobel de physique en 2006. Ce rayonnement du fond de l’Univers nous est familier car il représente quelques pourcents du signal que l´on aperçoit sur un poste de télévision réglé hors fréquences des canaux usuels. Pour le cosmologiste, ce rayonnement est un outil précieux car il représente avant tout un fossile des premières phases de l’expansion universelle. Mais entre le moment où ce rayonnement a été émis (environ 400 000 ans après le big-bang) et aujourd’hui, notre connaissance de l’histoire de l’Univers reste très lacunaire. Que s’est-il passé depuis et comment le savoir ?

On pourrait en principe reconstruire par la pensée son évolution, en s’appuyant sur les conditions initiales fournies par notre connaissance du fond diffus cosmologique. Mais l´Univers est si vaste et il y a tellement de paramètres à considérer, qu’il nous faut parfois aussi concéder une partie du travail à une machine : un super calculateur, comme Mare Nostrum, situé à Barcelone dans une vielle chapelle. Ce calculateur peut effectuer 42x1012 (soit 42 mille milliards !) opérations par seconde. Les scientifiques ont ainsi pour ambition de reproduire de manière virtuelle l’évolution de l´Univers par le biais de la simulation numérique.

Le Projet Horizon, auquel l’IAP participe activement, est une initiative visant à fédérer le travail de différentes équipes de simulations cosmologiques en France afin d’obtenir du temps de calcul sur les plus grands super calculateurs européens. Pour faire ces calculs, il faut développer un logiciel spécifique. RAMSES est un code à maillage adaptatif en grille cartésienne développé par Romain Teyssier (CEA Saclay), chercheur associé à l’IAP. Ce programme a la capacité de se raffiner, c´est-à-dire, de se subdiviser à nouveau dans les régions denses pour accroître la résolution spatiale et donc la précision du calcul. Seules trois ou quatre équipes au monde font de l´hydrodynamique à maillage adaptatif en cosmologie. Ce qui fait la spécificité de RAMSES est son bon comportement linéaire en charge : il fonctionne bien sur des ordinateurs ayant un nombre élevé de processeurs, comme les 2048 processeurs du super calculateur Mare Nostrum.

Le Projet Horizon s´est ainsi associé avec une équipe espagnole, dirigée par Gustavo Yepes (UAM), qui utilise un code hydrodynamique différent (GADGET) reposant sur le principe d’une simulation Lagrangienne dite SPH (Smoothed Particle Hydrodynamics) ou chaque particule est accompagnée d'un petit nuage de taille variable. L´objectif est de voir comment les deux grandes simulations cosmologiques évoluent en partant des mêmes données initiales de façon à pouvoir identifier les différences qui relèvent des artefacts numériques d’un code ou de l’autre. Ce projet global, Projet Mare Nostrum de Formation des Galaxies, est coordonné par Gustavo Yepes, qui a également fourni les données initiales des simulations.

Quels sont les éléments qui doivent entrer dans une simulation cosmologique à grande échelle ? Il faut décrire correctement la formation des galaxies, la formation des étoiles, l´éjection du vent stellaire, la présence des différentes espèces chimiques, entre autres… RAMSES est l’un des premiers codes numériques qui permette de prendre en compte ces différents ingrédients physiques. Il offre également une boîte de simulation (c’est-à-dire le cube d’Univers reproduit) et une résolution suffisamment grandes pour que l´échantillon statistique soit significatif.

L´image obtenue après une semaine de simulation montre une vision de l´Univers quand il avait un dixième de son âge actuel. L’époque de cet Univers simulé correspond aux objets que l’on voit aujourd’hui avec un décalage spectral (redshift en anglais) de 4, ce que l’on note également sous la forme z=4. Ce qui est nouveau, grâce aux caractéristiques de RAMSES, c’est d´avoir accès dans la même simulation, à la fois à la formation à grande échelle des structures de l’Univers et à beaucoup de détails à petite échelle.

Une fois la simulation obtenue, il est possible de mesurer différents paramètres physiques et de construire d’autres grandeurs observables. Ainsi il y a 19 millions de macro étoiles dans cette simulation à z=4. Pour chacune d’elle, on connaît son âge et sa métallicité, aussi on peut reproduire son spectre d’émission. En assemblant ces étoiles pour constituer des galaxies, il devient alors possible de comparer les résultats des simulations à des données observées.

On peut également comparer les résultats de la simulation aux relevés spectroscopiques de la métallicité des nuages absorbants du milieu intergalactique, ces amas gazeux situés entre la source de lumière et notre télescope. Lorsque la lumière émise par une source puissante, telle qu’un quasar, traverse ce milieu, son spectre est atténué à certaines longueurs d’ondes représentatives des éléments absorbants ; la forme des raies d´absorption fournissent des informations sur les propriétés du milieu traversé : température, densité de l’élément et décalage spectral du nuage en particulier. Parce que le spectre d’un objet est très facilement affecté par la présence de matière sur la ligne de visée, cette technique offre une sonde particulièrement efficace de la distribution du gaz intergalactique.

Mais il ne faut jamais oublier que la simulation a ses propres limites. Cette boîte, de 50 mégaparsecs (Mpa) de côté (soit 150 millions d´années-lumière) reste une assez bonne représentation à z=4. En revanche, plus le temps passera, moins elle sera représentative de l´Univers dans sa totalité. Par exemple, elle ne permet pas de voir les fluctuations de grande densité qui seraient générées par un objet extrêmement massif, ou des objets à très petite échelle spatiale en raison du manque de résolution. Il faudra analyser puis prendre en compte ces différents biais de méthodes, qui proviennent des différences entre les tailles des échantillons considérés pour effectuer une comparaison avec les observations. Inversement, il faudra prendre en compte les biais observationnels quand nous construirons des pseudo observables à partir des données de la simulation.

La simulation est supposée fonctionner jusqu´à z=1, ce qui correspond déjà à la moitié de l´âge de l´Univers et pour lequel il existe beaucoup d´observations réelles. Chaque avancée d’une unité de décalage spectral demande cependant plus de temps que la somme des étapes précédentes car la simulation se raffine au fur et à mesure pour suivre les effets d’effondrement gravitationnel. Par ailleurs, il est impossible à l’heure actuelle d’obtenir 3 millions d´heures sur un super calculateur pour finir cette simulation.. Il sera donc nécessaire de diminuer la taille de l’échantillon à partir d’un certain stade pour se focaliser sur certains objets et les décrire de manière raffinée. Le plus intéressant sera de considérer des objets semblables à notre Voie Lactée, et de les faire évoluer jusqu´à z=0. Le reste de la simulation devra alors être décrit à plus faible résolution. A ce décalage spectral, il deviendra possible de comparer les résultats de la simulation à ceux des grands relevés de galaxies, comme le VIMOS VLT Deep Survey (VVDS) en particulier.


L'image ici présentée représente, en projection, une portion de l'Univers simulé par Mare Nostrum/HORIZON, soit un rectangle d'environ 50 millions d'années lumière par 30, à une époque ou l'Univers était âgé d'environ 1,5 milliards d'années (un dixième de son âge actuel).

Une version à haute résolution (1 Mo) est disponible en cliquant sur l'image (© Projet HORIZON/Mare Nostrum 2007).

 


Ces 3 encarts correspondent à 3 zooms différents du voisinage d’un des halos massifs de MareNostrum à z=4. Nous représentons ici la température du gaz, avec une graduation pour laquelle rouge c’est chaud et bleu c’est froid. On voit clairement apparaître un régime d’accrétion froide ou une fraction du gaz froid peine à se frayer un chemin jusqu’au centre du halo (ou se trouve un disque froid). Les bulles chaudes (en rouge) correspondent au gaz choqué par l’éjection des supernovae. L’existence ou non de ces tunnels de gaz froids semble être fonction de la masse du halo et d’après la littérature, pourrait en partie expliquer la bimodalité observée des galaxies dans le SDSS (à plus bas z). En arrière plan, une vision par tracé de rayon de la distribution de température vu du centre de la simulation (© Projet HORIZON/Mare Nostrum 2007).
 


L'intérieur de la chapelle qui abrite les supercalculateurs à Barcelone.

Contact

Christophe Pichon
Institut d’Astrophysique de Paris
CNRS-UPMC-Paris6
98bis, bd Arago
F-75014 Paris
pichon@iap.fr
Tél. : 01 44 32
81 35
Fax : 01 44 32 80 01

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janvier 2007