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DES GALAXIES GÉANTES ALIMENTÉES PAR UN OCÉAN DE GAZ FROID

Les plus grosses galaxies de l’Univers baignent dans un océan cosmique de gaz froid, qui les entourent et les nourrit. Cette découverte effectuée par une équipe internationale comprenant deux chercheurs de l'IAP, est parue le 2 décembre 2016 dans le journal Science.

gaz halo bleuFigure 1: Image du proto-amas de galaxies appelé “Spiderweb” (« Toile d’araignée ») observé dans l’ultraviolet avec le télescope spatial Hubble, auquel est superposé, en bleu, l'« océan cosmique » de gaz froid découvert avec le radiotélescope ATCA. Ce gaz froid, à -200 degrés Celsius, est détecté par l’émission des molécule s de monoxyde de carbone (l'intensité centrale du nuage bleu ne reflète pas l'accroissement effectivement observé d'un facteur six par rapport aux bords du nuage). L'encart montre la région centrale de l'amas (sans le gaz froid), abritant une « super-galaxie » autour de laquelle orbitent de petites galaxies, déformées sous l’action de la gravité. Le réservoir de gaz s’étend sur un quart de million d’années-lumière, et alimente la formation des étoiles entre les galaxies. La « super-galaxie » se formerait à partir de la condensation de ce nuage de gaz froid. Crédits : NASA, ESA, G. Miley et R. Overzier (Leiden Observatory) et ACS Science Team | Montage : J. Mouette (IAP)

Sous l'effet de l'attraction gravitationnelle, les galaxies sont souvent regroupées par centaines ou par milliers, formant des « amas de galaxies ». Au centre de ces amas résident les plus grosses galaxies de l’Univers, rassemblant plusieurs milliers de milliards d’étoiles. Jusqu’à présent, les chercheurs pensaient que ces « super-galaxies » se formaient par fusion de nombreuses petites galaxies. Ces phénomènes sont soit observés directement dans certaines paires de galaxies en cours de fusion, soit déduits des distorsions dans les formes des galaxies qui ont récemment subi une fusion.

Au moyen de puissants radiotélescopes installés en Australie et aux États-Unis d’Amérique, Bjorn Emonts, du Centro de Astrobiología de Madrid, et ses collaborateurs ont observé un amas de galaxies en formation, ou « proto-amas », situé à 10 milliards d’années-lumière de la Terre, qui abrite en son centre une galaxie géante nommée “Spiderweb” (« Toile d’araignée »). Cette galaxie est en cours de formation, et elle est entourée d’un ensemble de plus petites galaxies en interaction gravitationnelle, telles des « mouches capturées » dans une toile d’araignée (voir Figure). Les chercheurs firent alors une découverte surprenante : les galaxies de l’amas sont en réalité baignées dans nuage géant de gaz froid, inconnu jusqu’alors.

Ce gaz froid est composé principalement de molécules de dihydrogène, le matériau de base à partir duquel se forment les étoiles et les galaxies. La molécule de dihydrogène étant difficile à observer directement, les astronomes observe un traceur de ce gaz, le monoxyde de carbone, plus facile à détecter. Ce gaz est extrêmement froid, à environ -200 degrés Celsius. Grâce aux observations complémentaires du radiotélescope Very Large Array (VLA http://www.vla.nrao.edu/, NRAO) au Nouveau Mexique, et du radiotélescope ATCA (Australia Telescope Compact Array, https://www.narrabri.atnf.csiro.au/), les chercheurs ont pu observer ce nuage géant de gaz froid, et démontrer que la plupart du gaz réside autour des galaxies. Les chercheurs s'attendaient à ce que le gaz froid soit localisé dans les galaxies elles-mêmes, mais ce n'est pas le cas.

Ce nuage géant de gaz froid est gigantesque, et englobe l'ensemble du proto-amas (voir Figure). Il s’étend sur une région mesurant un quart de million d’années-lumière, et il contient environ 100 milliards de fois la masse du Soleil. Ce vaste réservoir de gaz fut capturé par le proto-amas quand l’Univers n'avait que 20% de son âge actuel.

Le proto-amas du “Spiderweb” avait été découvert à la fin des années 1990 par l’équipe de George Miley, de l’Université de Leiden (Pays-Bas), qui l'avait scruté dans ses moindre détails au moyen de divers télescopes incluant le télescope spatial Hubble [1]. En 2008, Nina Hatch et ses collaborateurs ont publié la découverte d'une émission ultraviolette diffuse causée par la formation de milliards d’étoiles dans l'amas, mais l'origine de ces étoiles était un mystère [2].

Les astrophysiciens de l’Institut d’astrophysique de Paris, Matthew Lehnert, directeur de recherche au CNRS, et Pierre Guillard, maître de conférences à l’Université Pierre et Marie Curie, ont mené l’interprétation des nouvelles observations du “Spiderweb”. Avec leurs collaborateurs, ils ont montré que le gigantesque réservoir de gaz baignant les galaxies pouvait alimenter la formation des étoiles entre les galaxies de l'amas. En outre, les chercheurs estiment que la super-galaxie géante centrale est nourrie directement par la condensation de ce gaz froid. L’origine de ce réservoir géant de gaz froid reste cependant un mystère. Si l'on sait que le monoxyde de carbone est le produit de génération précédentes d’étoiles, une sorte de recyclage cosmique, on ne peut dire d’où il provient, ni comment il s’est accumulé au centre du proto-amas.

Cette découverte remarquable illustre comment les galaxies géantes se trouvant au centre des amas ont pu se former à partir d’un océan de gaz froid qui les entoure. Cette découverte pousse les astrophysiciens à revoir leur description de la répartition du gaz à l’intérieur et à l’extérieur des galaxies massives, ainsi que leur compréhension de la formation des galaxies en général. Il est possible qu'une fraction importante du gaz froid présent dans l'Univers se trouve autour des galaxies géantes, ce que des observations futures pourraient révéler.

Liens

puce Article (en anglais) de Science : Emonts, Lehnert, Villar-Martín et al., 2016, « Molecular gas in the halo fuels the growth of a massive cluster galaxy at high redshift »
puce Communiqué de l'ESA et verion originale de l'image du “Spiderweb” (version originale) : « Flies in a spider's web: Galaxy caught in the making »
puce Communiqué de presse du CNRS : « Les galaxies massives se nourrissent de nuages géants de gaz froid »

Références

[1] Article (en anglais) d'Astrophysical Journal: Miley, Overzier, Zirm et al., 2006, « The Spiderweb Galaxy: A Forming Massive Cluster Galaxy at z~2 »
[2] Article (en anglais) de Monthly Notices: Hatch, Overzier, Röttgering, Kurk, Miley, 2009, « Diffuse UV light associated with the Spiderweb Galaxy: evidence for in situ star formation outside galaxies »

Rédaction et contacts

Rédaction web : Valérie de Lapparent
Mise en page : Jean Mouette

Décembre 2016

Institut d'Astrophysique de Paris - 98 bis boulevard Arago - 75014 Paris