À une très grande distance de notre
propre système solaire, des astrophysiciens ont mis en évidence l’existence d’une
exoplanète dont les caractéristiques se rapprochent de celles de notre Terre, sans en être une sœur jumelle. Située à environ trois
fois la distance Terre-Soleil de son étoile, il lui faut 10 ans pour en faire
le tour et sa masse est environ 5 fois plus importante que celle de la Terre.
La température de sa surface est estimée à 53 kelvins (-220 degrés Celsius). Elle
est donc solide, probablement composée de roches et de glace. Le modèle
théorique de la formation de notre système solaire, qui propose que les
planètes se forment par accrétion de petits corps rocheux, s’en trouve ainsi
renforcé.
Cette planète, baptisée OGLE-2005-BLG-390Lb, avec une température proche de celle
de Neptune ou de Pluton (53 K), est trop froide pour abriter la vie, mais à de
grandes chances d’être la plus petite exoplanète identifiée à ce jour. Elle est située dans la constellation du
Sagittaire, près du cœur de la Voie lactée, notre Galaxie. La distance entre cette
planète et la Terre est d’environ 22 000
années-lumière.
Les auteurs de cette découverte, par la technique
des microlentilles gravitationnelles, sont les astronomes de la collaboration
PLANET (Probing Lensing Anomalies NETwork), dirigée par Jean-Philippe Beaulieu,
de l’Institut d’astrophysique de Paris[1].
C’est la
troisième planète extrasolaire trouvée grâce à cette technique prometteuse. Les résultats sont publiés dans la
revue anglaise Nature du jeudi 26 janvier 2006 et cosignés par 73 auteurs
appartenant à 32 établissements de 12 pays différents (France, États-unis,
Australie, Royaume-Uni, Danemark, Allemagne, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande,
Chili, Autriche, Pologne, Japon).
L’effet de microlentille gravitationnelle a été prédit par Einstein en
1936. La relativité générale indique que la lumière est déviée par les corps
massifs, par exemple les étoiles. Lorsqu’une petite étoile (la lentille) est
alignée exactement avec une autre étoile plus lointaine (la source), la lumière
est focalisée et l’étoile-source (Fig. 1) paraît plus brillante. Cette amplification de
lumière a été observée pour la première fois en 1993 par les projets
MACHO,
EROS et
OGLE.
La technique des microlentilles
gravitationnelles n’est pas limitée en distance, puisqu’il suffit que
l’étoile-lentille passe devant l’étoile-source, située en général à proximité
du Centre galactique (Fig. 2), soit à 25 000 années-lumière en moyenne. Si
l’étoile-lentille est double, la courbe d’amplification de l’éclat se modifie
en fonction du rapport de masse des composantes, de leur séparation et de leur
trajectoire dans le ciel. L’effet est purement géométrique, et on peut ainsi
détecter des composantes de faible masse, par exemple des planètes autour de
l’étoile-lentille. C’est ce qui a été réalisé pour la première fois en 2003,
puis en avril 2005, mais dans ces deux cas la planète était plus massive que
Jupiter et donc gazeuse.
D’autres techniques permettent de trouver des exoplanètes. Parmi elles, la
première et la plus efficace, appelée méthode des vitesses radiales, consiste à
mesurer le mouvement de l’étoile autour du centre de gravité du système
étoile-planète. Cette légère oscillation de l’étoile autour du centre commun
est mise en évidence par la variation de sa vitesse, mesurée par effet
Doppler-Fizeau. Lorsque l’étoile se rapproche de nous, les raies de son spectre
se décalent vers le bleu et inversement lorsqu’elle s’éloigne, elles se
décalent vers le rouge. C’est ainsi que la première exoplanète a été trouvée en
1995 par deux astronomes suisses de l’Observatoire de Genève : Michel
Mayor et Didier Queloz. Aujourd’hui, environ 170 planètes ont été détectées par
cette technique. Cependant, pour que l’oscillation de l’étoile soit observable,
il faut trois conditions : qu’elle soit a moins de 300 années-lumière de
la Terre, que la planète soit massive et proche de son étoile. On trouve ainsi
ce qu’on a appelé des Jupiters chauds.
Cette technique partage avec celle des
microlentilles gravitationnelles et des transits (passage de la planète
devant l’étoile détecté par la diminution du flux de l’étoile due à l’ombre de
la planète) le fait d’être indirecte : la planète n’est pas vue, son existence
et ses caractéristiques sont déduites des effets induits sur l’étoile. La
détection directe de la planète est très difficile, puisqu’elle n’émet pas de
lumière propre, mais se contente de réfléchir celle de son étoile : elle est
donc noyée dans l’éclat de celle-ci. Il a fallu attendre 2004 pour la première
détection directe d’une exoplanète[2] orbitant une naine brune à plus de 50 unités astronomiques. Dans ce cas, il
faut que l’étoile soit proche de nous, que la planète soit massive, mais qu’elle
soit très éloignée de son étoile pour qu’on puisse la distinguer.
Seules la méthode des vitesses radiales et celle des microlentilles
gravitationnelles peuvent détecter des planètes dans la zone dite « habitable »
autour d’une étoile, c'est-à-dire ni trop près, ni trop loin, et pouvant
héberger des planètes ni trop chaudes, ni trop froides (pouvant receler de l’eau
liquide). En utilisant la première méthode, une équipe[3] a récemment découvert une planète de 7,5 masses terrestres dans un système
en contenant déjà deux, mais sa distance est d’un cinquantième de la distance
Terre-Soleil, et la planète est donc très chaude (570 K).
L’étoile-lentille autour de laquelle tourne OGLE-2005-BLG-390Lb
avait été repérée par l’équipe polonaise-américaine de OGLE (Optical
Gravitational Lensing Experiment) menée par Andrzej
Udalski le 11 juillet 2005, dans le cadre de leurs observations
régulières du Bulbe galactique. Toute étoile dont l’éclat varie est signalée à
plusieurs autres équipes internationales d’astronomes qui en assurent le suivi.
Parmi ces équipes, la collaboration PLANET regroupe trente deux astronomes
provenant de dix pays et utilise cinq télescopes répartis dans l’hémisphère sud
: au Chili, en Australie et en Afrique du Sud. Cela permet de suivre les
alertes d’OGLE de façon continue, chaque télescope prenant le relais du
précédent lorsque la nuit se termine sur un continent et commence sur un autre.
Comme le dit Jean-Philippe Beaulieu : « Pour les astronomes de
PLANET, le Soleil ne se lève jamais… ».
Le but de ce suivi est de détecter des anomalies sur la courbe
d’amplification (Fig. 3), qui pourraient trahir l’existence d’une planète autour de
l’étoile qui passe entre l’observateur et l’étoile-source. C’est ce qui s’est
produit la nuit du 10 août 2005, lorsque deux astronomes, Pascal Fouqué
(Observatoire Midi-Pyrénées, France) et Kristian Woller (Niels Bohr Institute,
Danemark), observant sur le télescope Danois de 1,5 m à l’Observatoire de La
Silla (Fig. 4), ont noté une déviation en flux, alors que l’amplification
de la source était presque terminée, après avoir franchi son maximum le 31
juillet 2005.
Les astronomes ont alerté leurs collègues australiens, qui ont pu confirmer
une variation d’éclat anormale d’une durée de 7 heures. Le lendemain, les
équipes de OGLE et de MOA (Microlensing Observations in Astrophysics,
collaboration Nouvelle-Zélande-Japon) ont confirmé la détection et les
modélisateurs se sont mis au travail pour voir si la présence d’une planète
pouvait expliquer la déviation.
Un astronome allemand, Daniel Kubas (PLANET &
University of Potsdam,
Potsdam, Germany), un américain, David Bennett
(PLANET &
University of Notre Dame, Notre Dame IN, USA) et un français, Arnaud Cassan (PLANET &
IAP-CNRS-UPMC), ont alors montré
indépendamment qu’il s’agissait bien d’une planète, mais qu’en plus sa masse
était la plus petite jamais mesurée pour une planète hors du système solaire,
de l’ordre de 5 masses terrestres !
Pourra-t-on
voir un jour cette planète directement ? Non, à cause de sa grande
distance : 22 000 années-lumière. Elle
est donc plus proche de l’étoile-source que de notre système solaire. On peut par
contre espérer, d’ici 5 à 10 ans, détecter l’étoile-lentille, que son mouvement
propre aura écarté suffisamment de l’étoile-source pour qu’un interféromètre
tel que le VLTI (ESO, Chili) ou un coronographe équipé d’optique adaptative
(Planet Finder sur le VLT) puisse séparer les deux étoiles. Cela permettra de mieux
connaître la masse de la planète.
Notes :
[1]
Institut d’astrophysique de
Paris, Unité mixte de recherche du CNRS et de l'Université Paris 6 Pierre et
Marie Curie.
[2]
G. Chauvin et C. Dumas, de l'ESO, A.M.
Lagrange et J.L. Beuzit, du Laboratoire d'astrophysique de l'Observatoire de
Grenoble (CNRS / Université Grenoble 1), B. Zuckerman et I. Song, de
l'Université de Californie, D. Mouillet, du Laboratoire d'astrophysique de
l'Observatoire Midi-Pyrenées (CNRS / Université Toulouse 3), P. Lowrance, du
Spitzer science centre (USA).
Voir :
http://www.insu.cnrs.fr/web/article/art.php?art=1410
[3]
A ~7.5 Earth-Mass Planet Orbiting the Nearby Star, GJ 876
E. J.
Rivera, Observatoire de Lick, Université de Californie, Santa Cruz.
Les télescopes participant au projet PLANET sont les suivants :
·
Le télescope de 0,6 m de l’Observatoire de Perth
(Bickley, Australie Occidentale)
·
Le télescope de 1,5 m de l’Observatoire de Boyden
(Bloemfontein, Afrique du Sud)
·
Le télescope de 1 m de SAAO (Sutherland, Afrique du Sud)
·
Le télescope Danois de 1,5 m de l’ESO (La Silla, Chili)
·
Le télescope de 1 m de l’Observatoire Canopus (Hobart,
Tasmanie, Australie)
Depuis 2005, PLANET collabore avec RoboNet, un réseau de télescopes
robotiques de 2 m du Royaume-Uni, qui opère actuellement 2 télescopes : Liverpool
au Roque de Los Muchachos, La Palma, Canaries, Espagne, et Faulkes North à
Haleakala, Hawaii, USA ; et bientôt un troisième : Faulkes South à
Siding Springs, Australie.
Contacts |
Jean-Philippe Beaulieu
Institut d’Astrophysique de Paris
CNRS-UPMC-Paris6
98bis, bd Arago
F-75014 Paris
beaulieu@iap.fr
Tél. : 01 44 32 81 19
Fax : 01 44 32 80 01
|
Christian Coutures
Service de Physique des Particules
DAPNIA - DSM
Commissariat à l’Énergie Atomique
Centre d’Études de Saclay
F-91191 Gif-sur-Yvette cedex
coutures@iap.fr
Tél. : 01 69 08 37 48
Fax : 01 69 08 64 28
|
Pascal Fouqué
Laboratoire d’Astrophysique de Toulouse et Tarbes
UMR 5572-CNRS
Observatoire Midi-Pyrénées
Université Paul Sabatier - Toulouse 3
14, avenue Édouard Belin
F-31400 Toulouse
pascal.fouque@ast.obs-mip.fr
Tél. : 05 61 33 27 86
Fax : 05 61 33 28 40
|
Jean-Baptiste Marquette
Institut d’Astrophysique de Paris
CNRS-UPMC-Paris6
98bis, bd Arago
F-75014 Paris
marquett@iap.fr
Tél. : 01 44 32 81 96
Fax : 01 44 32 80 01 |
Revue de presse (provisoire) |
i>télé pour “i comme Icare”, Libération, Ciel et Espace, France Info, France Inter, Europe 1, France 3 Ile-de-France, France 2, France 3,
LCI, TF1,
site Internet de TF1,
Techno-science.net,
Canoë (Québec),
Xinhua (Agence de Presse chinoise), Science et vie,
Radio France Internationale
dans Microméga,
Le Monde,
Die Welt (Allemagne),
Le
Temps (Suisse),
Aujourd'hui en France, Le Figaro, Le Nouvel Observateur,
Ciel des hommes,
TV5Monde, Radio Canada,
Caosyciencia,
Direct8, scienceatstake.com, Science et Avenir, Pour la Science, Times Online,
BBC News online, The Guardian, The Register, The Independent, The Scotsman, The
Sun, CBC (Canada), Globe and Mail, Sydney Morning Herald, Sunday Times,
Melbourne Herald Sun, Pravda (Russie), Agence France Presse, Calcutta Telegraph
(Inde), Malaysia Star (Malaisie) Playfuls.com (Roumanie), Irish Independent, The
Pakistan Newswire, CNN, CNN Headline News, NBC, ABC, CBS, FOX, WB, WGN, USA
Radio Network National, CBS newsradio affiliate, Voice of America, NPR,
New York Times, Washington Post, Christian Science Monitor, Newsday, Boston
Globe.com, San Francisco Chronicle, Philadelphia Inquirer, Reuters, Associated
Press, Scripps Howard, New Scientist, Forbes, CNN.com, ABC News online, CBS News
online, MSNBC.com, LiveScience.com, Aviation Week & Space Technology, Columbus
Dispatch, Fort Worth Star Telegram, GameSHOUT.com, AstrobiologyNews.com, San
Antonio Express-News, States News Service, Space Ref,
Sky and Telescope...
Jean-Philippe Beaulieu a donné un
séminaire
sur ce sujet à l’IAP, vendredi 27 janvier.
|
Figures : |
Fig. 1
Champ de l’étoile OGLE-2005-BLG-390 dans le
bulbe galactique
La flèche indique la position de l’étoile-source. On notera la zone sombre sur la gauche de
l’image : elle est due à des poussières en direction du centre
galactique, qui masquent la lumière des étoiles plus lointaines.
Image préparée par Jean-Philippe Beaulieu de l’Institut
d’astrophysique de Paris (IAP-CNRS-UPMC) |
Fig. 2
Sur cette représentation en coupe de notre
Galaxie, la Voie lactée, l’étoile-source appartient à la région
centrale qu’on appelle le bulbe galactique, tandis que
l’étoile-lentille se trouve à une distance intermédiaire, soit
dans les bras spiraux du disque de la galaxie, soit aussi dans le
bulbe.
Image originale empruntée à l’Agence spatiale
européenne, et retouchée par Andrew Williams, auteur des
observations australiennes de la planète OGLE-2005-BLG-390Lb. |
Fig. 3
La courbe de lumière (variation de l’éclat en
fonction du temps) de OGLE-2005-BLG-390.
Chaque point représente une mesure, et sa couleur correspond au
télescope où l’observation a été faite. La couverture continue de
la courbe par les observations montre l’efficacité de notre
stratégie à plusieurs télescopes répartis sur différents
continents (OGLE et Danish au Chili, RoboNet aux Canaries et à
Hawaii, Canopus et Perth en Australie, MOA en Nouvelle-Zélande).
L’insert montre un agrandissement de la
déviation due à la planète et correspond à la nuit du 10 août
2005. Les deux premiers points rouges correspondent à la détection
de l’anomalie au télescope Danois et les points bleus mesurés à
Perth montrent l’importance d’alerter les collègues lorsqu’une
anomalie a été détectée.
Image préparée par David Bennett (PLANET) |
Fig. 4
Le télescope Danois de 1,54 m à l’Observatoire
de La Silla, où les observations qui ont conduit à la détection de
l’exoplanète ont été menées en juillet et août 2005 (© ESO). |
|
janvier 2006
|