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DÉCOUVERTE DE DEUX FAMILLES D'EXOCOMÈTES AUTOUR DE L'ÉTOILE β PICTORIS

Les astronomes viennent de découvrir deux familles de comètes extrasolaires, ou "exocomètes" autour de l'étoile β Pictoris. Une première famille est constituée d'exocomètes anciennes, prises au piège dans une résonance avec une planète massive et épuisées par leurs passages multiples à proximité de l'étoile. La deuxième famille se compose d'exocomètes probablement issues de la fragmentation récente d'un ou de quelques objets plus gros. Ce résultat montre que les objets observés depuis longtemps dans le système planétaire jeune de β Pictoris sont les analogues des comètes de notre propre Système solaire.

Les astronomes connaissent aujourd'hui près de 2000 planètes extrasolaires, ou "exoplanètes", des planètes qui tournent autour d'étoiles différentes du Soleil. Parmi ces systèmes extrasolaires, celui qui entoure l'étoile β Pictoris est un des plus étudié, car β Pictoris est une étoile jeune située à proximité du Soleil : elle est âgée d'environ 20 millions d'années et est située à 63 années-lumière. Et, surtout, elle est entourée d'un gigantesque disque qui est la trace visible d'un système planétaire jeune particulièrement actif dans lequel du gaz et des poussières sont produits par l'évaporation de comètes et des collisions d'astéroïdes ; cette activité est à l'image de ce qui s'est produit dans le Système solaire alors que les planètes comme la Terre venaient juste de se former. Une planète géante, "β Pic b", en orbite à environ huit unités astronomiques1 a aussi été détectée sur des images à très haute résolution obtenues avec de l'optique adaptative.

En plus de cette planète, des variations dans le spectre de β Pictoris sont observées depuis près de 30 ans ; elles sont interprétées par le transit de comètes devant cette étoile. Les comètes sont des petits corps de quelques kilomètres, riches en glace et en matériaux volatiles, elles s'évaporent lorsqu'elles s'approchent de leur étoile, produisant de gigantesques queues de gaz et de poussières. Elles sont les fossiles glacés des premiers âges de leur système planétaire. C'est pourquoi les comètes, et en particulier celles qui orbitent autour de β Pictoris, fournissent un témoignage des mécanismes de formation des planètes et de l'évolution des systèmes planétaires dans leur ensemble ; c'est aussi la raison pour laquelle le module Philae de la mission Rosetta de l'Agence spatiale européenne (ESA) va se poser sur la comète Churyumov-Gerasimenko en novembre prochain. Pour β Pictoris, l'observation détaillée des comètes peut fournir des éléments importants pour comprendre les mécanismes à l'œuvre dans les systèmes planétaires jeunes, et indirectement nous aider à comprendre ce qui s'est passé dans le Système solaire il y a 4,5 milliards d'années.

Pour observer les comètes de β Pictoris, les chercheurs de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP), de l'Institut de radioastronomie millimétrique (IRAM), et de l'Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble (IPAG) ont utilisé la technique des "transits" : l'objet étudié est observé au moment où il passe devant son étoile, produisant ainsi une mini-éclipse. Cette technique a déjà été utilisée pour observer les atmosphères des exoplanètes2. Pendant le transit d'une exocomète, la lumière stellaire est en partie absorbée, ce qui permet de mesurer la taille et la vitesse du nuage de gaz qui entoure le noyau cométaire.

Pour étudier les exocomètes de β Pictoris, Flavien Kiefer (IAP/CNRS/UPMC) et son équipe ont analysé un échantillon homogène de plus de 1000 spectres obtenus entre 2003 et 2011 sur le télescope de 3,6 mètres de l'Observatoire européen austral (ESO). Sur ces spectres les astronomes ont identifié 6000 signatures d'exocomètes. Parfois une même exocomète a été observée plusieurs fois pendant quelques heures. Finalement, pour leur étude statistique les chercheurs ont retenu un échantillon de 493 exocomètes différentes. Pour ces objets, l'analyse a permis de déterminer la vitesse et la taille des nuages de gaz, et indirectement la distance à l'étoile et les propriétés orbitales de chacune de ces exocomètes comme l'excentricité ou l'orientation de l'orbite.

Cette analyse de plusieurs centaines d'exocomètes dans un même système planétaire est unique. Elle a mis en évidence la présence de deux familles d'exocomètes distinctes : une famille d'exocomètes âgées, piégées sur des orbites en résonance avec une planète massive, et une autre famille d'exocomètes plus jeunes, probablement issues de la rupture récente d'un (ou de quelques) objet(s) plus gros.

Les exocomètes de la première famille sont sur des orbites variées et sont peu actives avec des taux de production de gaz et de poussières plutôt faibles. Cela suggère qu'il s'agit de comètes anciennes usées par leurs passages multiples à proximité de β Pictoris. De plus, les orbites de ces comètes (excentricité et orientation) ont exactement les propriétés prédites pour les comètes piégées en résonance orbitale3 avec une planète massive. Les mesures effectuées sur les comètes de la première famille montrent que cette planète en résonance doit se trouver à une dizaine d'unités astronomique, c'est à dire là ou la planète β Pic b a été découverte par imagerie.

Les exocomètes de la deuxième famille sont beaucoup plus actives. De plus, ces exocomètes sont sur des orbites presque identiques, à l'instar des comètes de la famille de Kreutz dans le Système solaire, ou des fragments de Shoemaker-Levy 9 qui s'étaient abîmés dans Jupiter en juillet 1994. Cela suggère qu'elles ont toute une origine unique récente : probablement la rupture d'un objet plus gros dont les fragments sont sur une orbite rasant l'étoile β Pictoris.

En résumé, pour la première fois, nous avons une étude statistique qui permet de déterminer les propriétés physiques et orbitales d'un grand nombre de comètes extrasolaires, ou "exocomètes", vues dans leur ensemble. Cette étude donne une vision originale et sans précédent des mécanismes à l'œuvre dans un système planétaire jeune qui ressemble à ce que devait être notre propre Système solaire juste après sa formation il y a 4,5 milliard d'années.

1L'unité astronomique (symbole ua) est une unité de distance qui vaut approximativement la distance Terre-Soleil. Une unité astronomique vaut exactement 149 597 870,7 km.
2En observant les atmosphère d'exoplanètes en transit, les astronomes ont pu découvrir l'évaporation des planètes géantes gazeuses très proches de leur étoile ("European astronomers observe first evaporating planet" ; www.spacetelescope.org/news/heic0303/ ), mesurer la composition, la pression et la température des atmosphère et ainsi calculer les couleurs du ciel de ces planètes ("Un disque cyan dans un ciel pourpre : coucher de soleil sur Osiris" ; www.insu.cnrs.fr/univers/les-exoplanetes/un-disque-cyan-dans-un-ciel-pourpre-coucher-de-soleil-sur-osiris), et même observer des phénomènes météorologiques ("Dramatic change spotted on a faraway planet" ; www.spacetelescope.org/news/heic1209/).
3On dit que deux corps en orbite autour d'une étoile ou d'une planète sont en résonance orbitale de moyen mouvement quand le rapport de leur période orbitale est un nombre entier ou un rapport de nombres entiers. Par exemple Neptune et Pluton sont en résonnance 3:2 : quand Neptune fait trois tours autour du Soleil, Pluton en fait deux exactement. Pour les exocomètes de β Pictoris, il pourrait s'agir de la résonance 4:1 : les exocomètes font quatre tours lorsque la planète massive en fait un seul.

Voir le communiqué de presse de l'Observatoire Européen Austral (ESO) : Two Familes of Comets Found Around Nearby Star - Biggest census ever of exocomets around Beta Pictoris

Références :

L'équipe de chercheurs qui a mené cette étude est constituée de : F. Kiefer1, A. Lecavelier des Etangs1, J. Boissier2, A. Vidal-Madjar1, H. Beust3, A.-M. Lagrange3, G. Hébrard1, & R. Ferlet1.

1Institut d'astrophysique de Paris, CNRS, Université Pierre & Marie Curie-Paris 6, Paris, France
2Institut de radioastronomie millimétrique, Saint Martin d'Hères, France
3Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble, CNRS, Université Joseph Fourrier-Grenoble 1, Grenoble, France

L'étude est publié dans un article intitulé "Two families of exocomets in the Beta Pictoris system" qui sera publié par la revue Nature.


Remerciements :

Cette étude a été en partie financé par le Prix Scientifique de la Fondation Simone et Cino Del Duca. Les données analysées ont été obtenues entre 2003 et 2011 sur un télescope de l'ESO situé à La Silla, Chili. Les auteurs de l'étude tiennent également à remercier le soutien de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) avec les programmes ANR-12-BS05-0012 (Exo-Atmos) et ANR-2010 BLAN-0505-01 (ExoZodi).


Contacts :

Alain Lecavelier des Étangs
Institut d'astrophysique de Paris-CNRS-UPMC
lecaveli à iap.fr
Tél. : 33-1-4432-8077

Flavien Kiefer
Institut d'astrophysique de Paris-CNRS-UPMC
School of Physics and Astronomy, Tel Aviv University, Israël
kiefer à iap.fr
Tél. : 972-502-838-163

Illustrations :

Le ciel en direction de β Pictoris
Le ciel en direction de β Pictoris : cette étoile est visible à l'œil nu dans le ciel de l'hémisphère sud.
Image produite avec le logiciel Stellarium, voir www.stellarium.org


La planète β Pic b et le disque de poussière autour de l'étoile β Pictoris
La planète β Pic b et le disque de poussière autour de l'étoile β Pictoris
© : ESO/A.-M. Lagrange et al.


Vue d'artiste du disque de β Pictoris
Vue d'artiste du disque de β Pictoris
© NASA/FUSE/Lynette Cook


Shoemaker-Levy 9
Image de Shoemaker-Levy 9
© NASA, ESA, and H. Weaver and E. Smith (STScI)


Shoemaker-Levy 9 et Jupiter
Shoemaker-Levy 9 et Jupiter
© NASA, ESA, H. Weaver and E. Smith (STScI) and J. Trauger and R. Evans (NASA's Jet Propulsion Laboratory)

octobre 2014

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