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Un thermomètre moléculaire pour sonder l'Univers lointain

Première mesure précise de la température du fond de rayonnement cosmologique à une époque reculée.

Une équipe formée de R. Srianand, chercheur de l'IUCAA en Inde, de Pasquier Noterdaeme, doctorant à l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP), de Cédric Ledoux de l'observatoire européen austral (ESO) au Chili et de Patrick Petitjean de l'IAP, a détecté pour la première fois, en absorption, du monoxyde de carbone dans une galaxie située à environ 11 milliards d'années lumière, une détection espérée depuis 25 ans. Cette détection a permis aux astronomes d'obtenir la mesure la plus précise de la température du fond diffus cosmologique à une époque aussi reculée. Les résultats sont présentés dans une Lettre à l'Editeur dans "Astronomy & Astrophysics", 482, L39 (2008).

L'équipe d'astronomes a pointé pendant plus de 8 heures le spectrographe UVES du télescope européen VLT (Very Large Telescope) en direction d'une galaxie située à un décalage spectral z=2.42, ce qui correspond à une distance de la Terre d'environ 11 milliards d'années lumière [1].

Le seul moyen de détecter cette galaxie consistait à détecter l'absorption que son gaz interstellaire produit dans le spectre d'un quasar d'arrière-plan, encore plus lointain [2]. Les quasars sont ici utilisés comme des phares dont le faisceau sonde l'Univers. Les nuages de gaz interstellaires dans des galaxies situées entre un quasar et nous, sur la même ligne de visée, absorbent une partie de la lumière émise par le quasar. Le spectre résultant présente alors des zones sombres qui peuvent être attribuées à des éléments bien connus et éventuellement à des molécules.

Grâce à la puissance du VLT et à une soigneuse sélection de l'objectif - qui a été choisi parmi environ dix mille quasars - l'équipe a pu découvrir la présence d'hydrogène moléculaire et de monoxyde de carbone (CO) dans le milieu interstellaire de cette galaxie lointaine. C'est la première fois que CO est détecté le long de la ligne de visée d'un quasar.

La même équipe a déjà battu le record de la détection la plus lointaine d'hydrogène moléculaire, dans une galaxie vue telle qu'elle était lorsque l'Univers avait moins d'un milliard et demi d'années.

Le gaz interstellaire est le réservoir à partir duquel se forment les étoiles et est donc un composant très important des galaxies. De plus, l'état physique dans lequel se trouvent les molécules dépend fortement du taux auquel les étoiles se forment. L'étude détaillée de la chimie du milieu interstellaire est donc un outil important pour comprendre comment se forment les galaxies. A partir de leurs observations, les astronomes ont montré que les conditions physiques dans le milieu interstellaire de cette galaxie distante sont similaires à celles que l'on observe dans notre Galaxie, la Voie Lactée.

Plus important encore, l'équipe a été capable de mesurer avec une précision jamais atteinte la température du fond diffus de rayonnement cosmologique dans l'Univers lointain. Contrairement à d'autres méthodes, l'utilisation de molécules de CO pour mesurer la température du fond diffus est très robuste car elle s'appuie sur très peu d'hypothèses [3].

Selon la théorie du Big-bang, l'état initial de l'Univers est dense et chaud. La théorie prévoit que 400 000 ans environ après le Big-bang, lorsque la température de l'Univers était de 3000 K [degrés kelvins], la matière et le rayonnement se sont découplés. Depuis, la température de l'Univers décroit régulièrement avec le temps du fait de son expansion [4]. La température actuelle est de 2.725 K. D'après la théorie, la température, il y a 11 milliards d'années devait être d'environ 9.3 K. Les observations de CO permettent de déduire une température de 9.15 K (plus ou moins 0.7 K) en excellent accord avec la prédiction.

L'équipe considère que cette analyse ouvre la voie au développement de l'astrochimie à grand décalage spectral (i.e. dans l'Univers lointain), et qu'elle démontre qu'il est possible, avec la détection de molécules telles que HD ou CH, de trouver des éléments de réponse à plusieurs questions fondamentales en cosmologie.

On peut également consulter le communiqué de presse de l'ESO (en anglais) : http://www.eso.org/public/outreach/press-rel/pr-2008/pr-13-08.html

Notes:
[1] Le décalage spectral, z, est une quantité très utilisée en cosmologie pour exprimer les distances et les temps. Edwin Hubble a montré en 1929 que plus les galaxies sont lointaines, plus leur lumière est décalée vers le rouge. C'est une conséquence de l'expansion de l'Univers. Un photon émis avec une longueur d'onde lambda sera observé sur Terre à une longueur d'onde (1+z)*lambda. [lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Décalage_spectral]

[2] Les quasars sont des objets extraordinairement lumineux dans l'Univers lointain, puisant leur énergie de l'accrétion gravitationnelle de gaz sur des trous noirs supermassifs. Un quasar peut, dans un volume comparable à celui du système solaire, émettre à lui seul mille fois plus de lumière qu'une galaxie de 100 milliards d'étoiles.

[3] Cette équipe a déjà pu démontrer, en utilisant des raies de structure fine du carbone neutre, que l'Univers était plus chaud dans le passé (voir La Une de janvier 2001). Cependant, les observations d'alors n'avaient pu contraindre cette température que dans un intervalle entre 6 et 14 K.

[4] Une des prédictions fondamentales de la théorie du Big-bang est l'existence d'un fond diffus de rayonnement cosmologique. La relique de ce fond diffus a été découverte en 1964 grâce à des observations dans le domaine radio par les physiciens américains Arno Penzias et Robert Wilson, qui ont ensuite reçu le prix Nobel en 1978. Des mesures précises par les satellites COBE et WMAP ont montré plus tard que l'Univers est baigné par ce champ de radiation dans toutes les directions avec une température d'un peu moins de 3 degrés au dessus du zéro absolu (2.725 kelvins ou -270.4 °C). Une prédiction supplémentaire est que la température de l'Univers décroit avec son expansion d'un facteur (1+z) où z est le décalage spectral. Au décalage spectral de la galaxie considérée (z=2.41837), on s'attend à une température de 2.725*(1+2.41837)=9.315 K soit -263.835 °C.

Figures

 Un thermomètre moléculaire pour sonder l'Univers lointain

Fig. 1 : Une des techniques les plus efficaces pour détecter des galaxies dans l'Univers lointain consiste à chercher l'absorption que leur milieu interstellaire produit dans le spectre d'un quasar d'arrière-plan, encore plus lointain. Les nuages de gaz interstellaires dans des galaxies situées entre un quasar et nous, sur la même ligne de visée, absorbent une partie de la lumière émise par le quasar. Le spectre résultant présente alors des zones sombres qui peuvent être attribuées à des éléments bien connus et éventuellement à des molécules. Dans cette représentation schématique, le télescope observe (D), les absorptions associées à trois systèmes, situés à différentes distances (A, B et C) et donc différents décalages spectraux. Le quasar, qui sert ici de phare se trouve à gauche sur cette image.

[Crédit : ESO]

  Spectre d'un quasar très lointain

Fig. 2 : Spectre d'un quasar très lointain dans lequel on peut voir les absorptions d'une galaxie située à environ 11 milliards d'années lumière. Plusieurs bandes de monoxyde de carbone (CO) ainsi que des bandes d'hydrogène moléculaire (H2, HD) ont été identifiées par les astronomes. Les différentes intensités des absorptions de CO ont permis aux astronomes de mesurer la température du fond diffus de rayonnement cosmologique à cette époque reculée. Le spectre, résultat de plus de 8 heures d'observations, a été obtenu avec l'instrument UVES du télescope VLT de l'observatoire européen.

[Crédit: ESO]

Contacts
Pasquier Noterdaeme
Institut d’Astrophysique de Paris
CNRS-UPMC
98bis, bd Arago
F-75014 Paris
noterdae à iap.fr
Tél. : 33-1-4432-8132
Fax : 33-1-4432-8001
Patrick Petitjean
Institut d’Astrophysique de Paris
CNRS-UPMC
98bis, bd Arago
F-75014 Paris
ppetitje à iap.fr
Tél. : 33-1-4432-8150
Fax : 33-1-4432-8001
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mai 2008